Crow Life travaillait à une enquête sur le Choucas des Tours depuis plusieurs mois. Ces jours-ci, les médias et notamment Ouest-France, BFM-TV et France 3 région se sont faits l’écho du témoignage d’agriculteurs mettant en cause le Choucas des Tours (Corvus monedula), une espèce protégée de la famille des corvidés accusée de ravager les cultures en Bretagne. L’espèce y prolifèrerait – et de citer le chiffre erroné de « 600 000 choucas dans le département [du Finistère] » sur BFM TV; et de prétendre, à tort, que, à raison de 4 œufs par nid, « au bas mot 50 000 couples vont produire 200 000 oiseaux en plus à la fin du mois de juin » sur France 3. « Nos métiers sont en péril. Alors oui, il faut savoir qui on protège : les agriculteurs ou les choucas ? » prévient un agriculteur interviewé par Ouest-France. L’appel à la solidarité et à la préférence anthropique. N’y-a-t-il pas un autre choix ? Une option qui consisterait à (ré)apprendre à faire avec le sauvage, à cohabiter avec et à considérer les avantages d’une telle cohabitation?
De la stéréotypie du discours à l’examen des faits
Pour l’association, on a là un échantillon du discours stéréotypé des partisans de la lutte anti-choucas qui tantôt agitent le chiffon rouge du péril économique, tantôt cherchent à faire pleurer dans les chaumières à coup de récits hitchcokiens parlant à l’imaginaire collectif et paraissant peut-être, aux yeux d’une partie de nos concitoyens, justifier les quotas d’oiseaux déjà sacrifiés à l’agriculture, voire l’évolution de leur statut juridique dans le sens de la dé-protection à défaut d’indemnisation alternativement réclamées par l’emblématique trio agriculteur(s)-chasseur(s)-élu(s) éventuellement appuyé par un représentant de syndicat agricole, l’ensemble posant sur la photo dans le journal. Printemps, été : on y a régulièrement droit. Depuis quelques années, on assiste à la construction sociale d’une image négative du choucas taxé de ‘’nuisible’’ et même ‘’d’espèce invasive’’ (ce qu’il n’est absolument pas, mais le fantasme de l’invasion nourrit celui de l’agression) qui, d’être largement véhiculée, médiatisée, tend à se superposer à la réalité.
Des dégâts aux cultures non attribuables au seul Choucas des Tours
Deux régions, la Bretagne et les Pays-de-Loire s’agitent sur le dossier. Dans l’ouest de la France, l’année dernière, c’est le département du Maine-et-Loire qui a déclaré le montant de dégâts attribués aux Choucas le plus élevé : 546 000€ (/ 467 000€ en Finistère).
Or si l’on considère les déclarations individuelles de dégâts aux cultures à la base de cette estimation chiffrée du 49, la majorité des déclarants mentionne la présence de plusieurs espèces : 72% citent de 2 à 7 espèces dont choucas + ragondins, sangliers, pigeons, corbeaux freux, corneilles… (cf graphique).
Une protection gênant le tir des chasseurs ?
Les choucas sont grégaires. Ils vivent en groupe ou en colonie et, au sol, se joignent ou sont rejoints par d’autres oiseaux. Des groupes de corvidés sont ainsi formés réunissant choucas et d’autres espèces de même famille, classées quant à elles ESOD (espèces susceptibles d’occasionner des dégâts ou ex-catégorie des ‘’nuisibles’’). Or la présence des premiers gêne la destruction des seconds : distinguer un jeune choucas d’un jeune corbeau ou d’une jeune corneille ne va pas de soi et tirer une espèce protégée peut coûter cher (jusqu’à 15 000€ d’amende). Évidemment si le choucas changeait de statut pour devenir lui aussi un ‘’nuisible’’, l’affaire serait plus simple : il suffirait aux chasseurs de tirer dans le tas.
Cette parenthèse faite, on le voit, l’attribution des dommages au seul Choucas des Tours apparaît clairement abusive. Pourtant les dérogations à l’interdiction de destruction d’espèces protégées prises par arrêté préfectoral et visant ce petit corvidé sont en grande partie déterminées par de telles déclarations.
En quelques années, les préfets de quatre départements de l’ouest de la France ont autorisé la destruction de 63 000 Choucas des Tours (cf encadré).
Un phénomène d’amplification du problème par récupération des chiffres nationaux et leur transposition à l’échelle départementale
C’est énorme quand on sait la population, pour la France entière et non dans le seul département du Finistère !, estimée entre 150 000 et 600 000 couples nicheurs. La transposition erronée à un département de ce chiffre de 600 000 (le haut de la fourchette de l’estimation nationale la plus haute – une seconde estimation existe, plus restreinte mais passons) venant gonfler exagérément l’importance de la problématique ‘’choucas’’ dans le Finistère n’est pas une première : le maire de Poullaouen (commune du nord-Finistère) élu de la chambre d’agriculture avait déjà affirmé à la presse régionale que selon ses propres estimations « les Choucas seraient plus de 600 000 dans le département ». Pour Crow-Life une telle amplification contribue à une perception déformée de la réalité de la problématique du Choucas, y compris par les agriculteurs, sur le terrain.
Des projections démenties par une forte mortalité néonatale
Par ailleurs quand on considère la mortalité néo-natale particulièrement élevée au sein de l’espèce, comment prétendre que 50 000 couples x 4 œufs/nid donneront 200 000 jeunes ? Ce calcul évacue ou méconnaît la mortalité néonatale du Choucas, un fait scientifique bien établi et consensuel. Elle vient encore d’être démontrée par une équipe de chercheurs dirigée par une scientifique du prestigieux Institut Max Planck dans le cadre d’une étude de suivi menée auprès d’une colonie de choucas sauvages en Allemagne : si le taux d’éclosion y est satisfaisant, le succès d’envol du nid des jeunes est de seulement 21% (Gill L.F et al, 2020).
L’argument de la ‘’prolifération’’ n’est pas sérieux. Ni soutenable au regard de comptages qui, localement, sont réalisés par secteurs et par des bénévoles recrutés en partie parmi les chasseurs et les agriculteurs volontaires sommairement formés au comptage (30mn de formation au comptage dans le 49, mode d’emploi fourni dans le 22). Les résultats de ces comptages ne valent pas estimation de la population de choucas dans un département.
Certes des disparités géographiques de répartition des populations existent et les choucas, de vivre en bande et de communiquer bruyamment, se font facilement remarquer dès qu’ils s’établissent dans un secteur. Qu’ils exercent une certaine pression sur un secteur donné ne signifie pas qu’il y ait ‘’prolifération’’ en revanche, au rythme de leur destruction, on peut se demander combien de temps les populations présentes localement parviendront à se maintenir dans un état de conservation favorable.
Pas de prédateurs ?
De plus, il est faux de prétendre que le Choucas n’a aucun prédateur. Les mustélidés (fouine, martre, etc) comptent parmi ses prédateurs naturels ainsi que d’autres espèces d’oiseaux. Si les mustélidés sauvages sont de moins en moins nombreux, reste le chat domestique : il fait des ravages au sein des colonies de Choucas lesquelles s’installent volontiers à proximité de l’homme (cheminées, vieux bâtiments, etc.) gagnant ainsi quelques degrés l’hiver.
Le choucas, un auxiliaire précieux de l’agriculture
Enfin, si les agriculteurs considéraient le verre à moitié plein plutôt que de le voir toujours à moitié vide ? Les Choucas rendent des services considérables à l’agriculture. Les auteurs d’une étude portant sur une colonie de choucas sauvages comptant plus de 200 nids et installée en zone agricole concluent que, d’un point de vue économique, la présence des Choucas en période de reproduction est avantageuse pour l’agriculture parce qu’ils réduisent significativement la quantité d’insectes ravageurs des cultures (œufs, larves, adultes : 1,5 tonnes) tandis qu’ils prélèvent une quantité insignifiante de grains sur la totalité des récoltes » (Kaminski et al, 2015). Les pesticides est-ce mieux ? Est-ce gratuit ? Non.
Quelques rares études permettent également de se faire une idée de l’évolution du régime alimentaire des Choucas au cours de l’année en zone agricole dont celle de Holyoak (1968) décrivant le contenu des gésiers de choucas autopsiés post-mortem : en mars-avril, la moitié d’entre eux (49%) n’avait ingéré ni semis, ni grains issus de l’agriculture et, en mai-juin, 56% étaient dans le même cas.
Paradoxalement, c’est la période où l’espèce est la plus persécutée : les dates des 28 arrêtés préfectoraux analysés par Crow-Life attestent d’une prise d’effets ciblant le printemps et l’été, soit 1°) la période de reproduction et 2°) la période de dépendance des jeunes, après l’envol du nid (cf graphique de l’encadré).
Attention en région d’élevage et d’épandage…
Les Choucas sont des auxiliaires précieux de l’agriculture mais à force de construire et de propager une image sociale négative d’eux et à force de les détruire…. À la prochaine attaque de simulies (mouches noires hématophages capables de provoquer la mort de bovins), l’absence de ce petit corvidé largement insectivore pourrait s’avérer dommageable. Est-ce le fruit du hasard si le Choucas affectionne davantage les régions d’élevage que celles de production céréalière ? Les deux premières régions françaises d’élevage que sont la Bretagne et les Pays-de-Loire seraient sans doute mieux inspirées de reconsidérer la question du Choucas à la lumière de ce type de considérations.